Alchimie du jeu de société

 
Baibhayne, animateur régulier de nos soirées terribles, vous propose l'article suivant, afin de vous familiariser avec le jargon du jeu de société.

L'article traite essentiellement du jargon des critiques et des auteurs de jeux, particulièrement utile pour choisir votre prochain jeu, entre les critiques spécialisées, les conseils des marchands et les avis des animateurs des soirées terribles.
Un conseil : entraînez-vous à identifier ces ingrédients, ceux que vous aimez et ceux que vous détestez, et surtout apprenez à reconnaître les "recettes" que vous préférez en analysant vos jeux favoris.

le jeu de société est la subtile harmonie, le délicat équilibre, bref : la complexe alchimie entre quelques-uns des ingrédients suivants :

le hasard
s’il permet qu’il n’y ait pas deux parties identiques, il donne aussi au novice la possibilité de battre le joueur chevronné. Mais point trop n’en faut : un jeu totalement dominé par le hasard n’a pas besoin de joueurs (l’archétype du jeu dominé par le hasard est le jeu de l’oie).
Dans un jeu de société, on reconnaît le hasard aux lancers de dés, aux tirages de cartes et aux mains innocentes puisant dans un sac en toile.

la stratégie
c’est elle qui fait la différence entre le novice et le joueur chevronné. Au-delà de la définition du dictionnaire, on qualifie de « stratégique » un jeu où l’on peut évaluer les répercussions d’un choix sur les tours de jeu suivants. Mais point trop n’en faut : un jeu totalement dominé par la stratégie nécessite une concentration énorme et une ambiance recueillie, nuisibles aux relations sociales (l’archétype du jeu dominé par la stratégie est le jeu d’échecs).
Dans un jeu de société, on reconnaît la « profondeur stratégique » à la « prise de tête » des joueurs, c'est-à-dire au temps qu’ils prennent pour réfléchir avant d’agir.

la tactique
c’est l’utilisation des règles du jeu, y compris et surtout celles écrites tout en bas de la page, en tout petits caractères gris clair.
On qualifie de « tactique » (par opposition à « stratégique ») un jeu dont les mécanismes sont tels que l’on ne peut prévoir les implications d’une action sur les tours de jeu suivants. Ou qu’une simple action peut suffire à ruiner une stratégie échafaudée depuis plusieurs tours de jeu. Mais point trop n’en faut, à moins de bien connaître ses adversaires : dans les mains de certains joueurs, le jeu purement tactique peut dégénérer en pugilat (Seenot im Rettungsboot en est un bon exemple).
Dans un jeu de société, on reconnaît la dimension tactique aux « coups de pute » que l’on peut porter à ses adversaires.

l’interaction
c’est elle qui fait la différence entre un jeu de société et un jeu tout court et qui fait qu’aucune partie n’est identique à une autre.
Dans le jeu de société, l’interaction est l’évaluation des répercussions d’un choix sur les actions des adversaires. Elle est intimement liée à la tactique, donc aux mécanismes du jeu.
Les puristes distinguent l’interaction « froide », où l’on agit en fonction de la position d’un adversaire (« il a déjà 500 bornes, je lui mets un feu rouge ») de l’interaction « chaude », où l’on agit en fonction des réactions attendues de l’adversaire (« je ferme ma ville, sinon Baibhayne va encore faire le coucou et me piquer tous les points »).
Dans un jeu de société, on reconnaît la qualité de l’interaction aux regards noirs et aux interjections qui s’échangent autour de la table de jeu.

la frustration
si l’on en croit Bruno Cathala (Du balai, Mr Jack, Les chevaliers de la table ronde, Castel, ..), la frustration est l’essence même du jeu de société : ce qui rend un jeu prenant, c’est la difficulté des choix auxquels il nous confronte. Or, « choisir c’est renoncer », et renoncer implique une frustration (« Soit je pose la voie entre Phoenix et Los Angeles maintenant, avant que Nutz ne le fasse ; soit je prends le wagon noir pour empêcher Tibi de relier Los Angeles à El Paso. Mais si je ne prends pas les deux wagons verts, pourrai-je un jour relier San Francisco à Portland ? »).
Dans un jeu de société, on reconnaît la frustration au temps que prend le joueur à hésiter avant d’agir.

les mécanismes
c’est le fonctionnement même du jeu. Vu le nombre de jeux publiés chaque année, les mécanismes encore inédits sont extrêmement rares, et l’originalité d’un jeu tient de plus en plus à la façon dont divers mécanismes sont « assemblés » pour former un jeu cohérent.
L’attrait d’un jeu ne réside pas dans la complexité des mécanismes, mais dans la « fluidité » qui résulte du bon assemblage et des bons réglages des mécanismes.
Dans un jeu de société, la complexité des mécanismes se mesure au temps que l’on doit investir pour en comprendre les règles.

le thème
c’est l’« emballage » du jeu, son aspect, sa physionomie. Bien souvent, il est imposé par l’éditeur à l’auteur du jeu, qui se voit alors obligé de transformer une Chasse au mammouth en Conquête viking ou une Course spatiale en Commerce entre gobelins. Si cela permet souvent de booster les ventes du jeu, cela nuit parfois à son attrait ou à son intelligibilité.
On distingue souvent les jeux « abstraits », qui se satisfont de n’importe quel thème (ou même d’une absence de thème), des jeux « à thème fort », où les mécanismes sont en cohérence avec le thème et où les choix que l’on fait sont ceux du personnage que l’on incarne.
La bonne adéquation du thème au jeu en augmente l’attrait et peut, lorsqu’il est complexe, en améliorer la fluidité.
Dans un jeu de société, le thème fort se reconnaît à la présence de tasses de thé autour du plateau de London 1888, de chopes de bière autour de celui de Skaal ou de verres d’aquavit à côté d’Invasions.

le matériel
c’est tout ce qu’on trouve dans la boite, voire la boite elle-même, et parfois même ce qu’on peut trouver en dehors de la boite.
Au même titre que le thème, le matériel participe indéniablement à l’attrait d’un jeu, même si rien ne permet de dire ce qui fait un « bon » matériel : des inconditionnels du jeu en bois peuvent s’extasier sur le kitsch du totem en plastique de Jungle Speed Flower Power ou sur l’expression des moutons en céramique d’Haste Bock.
Dans un jeu de société, le matériel se compose le plus souvent de plateaux, tuiles, pions, dés, cartes, jetons et fausse monnaie auxquels peuvent s’ajouter des éléments plus insolites tels que tapis, cailloux, craies, plasticine, brosse à dents, … dont il est impossible de dresser une liste exhaustive. Qui prétend le contraire n’a jamais joué à Objets Trouvés.

 

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